Foussemagne, village de 488 habitants en 1846, essentiellement tourné vers l'agriculture, va se transformer avec la révolution industrielle du XVIIIème siècle qui en modifie les traditions économiques et la répartition ethnologique grâce à l'implantation de la tuilerie Clavey.
Le fondateur en fut Charles Clavey (1812-1882), issu d'une ancienne famille de Belfort qui, en 1835 épousa une jeune fille de Foussemagne : Joséphine Feltin.
Après avis favorable du préfet du Haut Rhin à la création d'une tuilerie à Foussemagne, la construction en débute le 23 Octobre 1846 au lieu dit « La Glacière », situé route de Fontaine, au carrefour avec la route de Reppe.
Le développement de l'entreprise progresse par étape entre 1846 et 1923, de façon régulière et satisfaisante, employant vingt cinq ouvriers au décès de son créateur.
Deux fils lui succèdent : Célestin (1840-1909) et François (1842-1890), créant de nouveaux ateliers abritant un four de soixante mètres de feu, des séchoirs et une centrale thermique. La production atteint alors quatre milles tuiles par jour en 1892.
François décédé, Célestin dirige seul l'entreprise, assisté dans sa tâche par son épouse Félicie Couthaud, fille du juge de paix de Fontaine.
Cette dernière, dotée de brillantes qualités de gestionnaire, fait profiter son fils Edmond de son expérience dans la conduite des affaires entre le décès de son époux et sa propre disparition en 1913.
Les opérations militaires épargnant Foussemagne, l'usine poursuit ses fabrications durant la guerre 1914-1918.
En 1890, en bordure de la route de Fontaine, est construite une grande maison bourgeoise de douze pièces, bâtie en briques et située dans un parc arboré. Bâtisse citée par André Frossard, académicien natif de Foussemagne, dans ses souvenirs d'enfance comme « mystérieuse et certainement pleine de jouets où rien de malheureux ne pouvait arriver ».
Cette demeure reste aujourd'hui l'ultime témoin matériel de la dynastie des maîtres tuiliers de Foussemagne, appartenant encore à la famille. Trois autres maisons, pour les directeurs et contremaîtres de l'époque, témoignent encore du dynamisme de l'entreprise.
Au lendemain du premier conflit mondial, la demande en produits céramiques est forte, incitant Edmond Clavey (1887-1945), à l'extension de ses moyens de production. L'entreprise dispose d'une réserve inépuisable de marne bleu gris (loess) et de glaise d'excellente qualité apte à la fabrique de produits de choix. Le mélange de ses deux produits, d'un aspect vert, donne après cuisson les tuiles et briques réputées que nous connaissons.
Mettant à profit des connaissances techniques particulièrement étendues et reconnues, Edmond Clavey entreprend la construction d'une nouvelle usine, juxtaposée aux bâtiments existants et qui passe pour être à cette époque la plus moderne de France.
Avec une superficie totale de 36 hectares 82 ares, l'équipement comprend une centrale électrique, dix kilomètres de voies ferrées, cinq locomotives, mille wagonnets, deux fours à cent mètres et un à soixante mètres de feu, quatorze presses à mouler, cinq batteries de tunnel de séchage.
Le personnel est logé en grande partie dans les cités de l'usine comprenant dix huit logements de quatre pièces. Ces cités ont été détruites et laissent place aujourd'hui à une agréable zone pavillonnaire du lotissement « des Tuileries ». Une maison cantine au village et deux résidences pour cadres et chefs de fabrication ont également été construites.
L'ensemble est équipé d'eau courante, d'électricité et de tout à l'égout.
En 1923, la production atteint quarante milles tuiles par jour expédiées, soit par route , soit par wagon jusqu'à la gare de Montreux Vieux, grâce à une embranchement particulier de plusieurs kilomètres relié à la ligne Paris - Bâle, soit par péniches à partir du port de Montreux Vieux.
En 1926, la briqueterie de Revigny-sur-Ornain dans la Meuse, arrêtée depuis deux ans, fait appel à Edmond Clavey. Considérant la complémentarité des deux entreprises, ce dernier acquiert l'établissement. Pour en facilité la gestion, il transforme, le 8 Mars 1928, la tuilerie Clavey en société anonyme « Les Tuileries Clavey ». Ernest Boigeol en est le président, Mathieu Feltin et Pierre Jaminet, les administrateurs ; Edmond Clavey, fondateur, étant désigné administrateur délégué.
La direction s'installe à Belfort, de 1929 à 1939, alors qu'un bureau de vente est ouvert à Paris avec un réseau commercial couvrant soixante départements.
Ainsi, la briqueterie Revigny et la tuilerie Clavey approvisionnent le Nord et l'Ouest de la France, le bordelais, la région parisienne et l'Est de la métropole. Une période où la présidence est transmise à Mathieu Feltin puis à Pierre Jaminet. En 1937, Jean Debrot entre au conseil d'administration, Edmond Clavey demeurant le seul représentant de la famille fondatrice.
Malgré les efforts réalisés, tant à la production qu'au plan commercial et en raison des troubles sociaux, l'entreprise connaît des difficultés. Alors que de nombreuses affaires disparaissent, les usines Clavey réussissent à maintenir un minimum d'activité.
Le deuxième conflit mondial aggrave cet état de fait. Les blindés de la 8ème armée occupent les locaux. L'armée allemande succède à cette unité. L'activité, qui a cessé en Septembre 1939, reprend en Juin 1941, marquée par du chômage technique, en raison des pénuries de charbon et des coupures électriques. Les difficultés de recrutement de la main d'œuvre perturbent la production, particulièrement pour le personnel qualifié dans l'entretien des machines, les salaires de l'industrie céramique étant moins attractifs que dans d'autres grandes entreprises.
D'autre part, en 1942, le travail en Allemagne, au titre du STO (service de travail obligatoire) mobilise les personnels disponibles. Une période où la production est de seulement dix milles tuiles par jour, durant laquelle Edmond Clavey assure la direction de l'ensemble du groupe jusqu'en 1944, efficacement secondé par son fils aîné, Charles. Ce dernier, formé aux services administratifs et commerciaux, prend, en 1941, la direction de la briqueterie de Revigny, avant de reprendre celle de Foussemagne, en 1943.
Court répit dans la tourmente car 1944 sera la période la plus critique vécue par l'entreprise et la famille Clavey. En Décembre 1943, à la demande de Pierre Jaminet, président du conseil d'administration, Edmond Clavey accepte de cacher des armes dans les fours de l'ancienne usine, celles-ci étant destinées au groupe de résistants « Buckmaster ».
Le 27 Janvier 1944, les allemands perquisitionnent dans l'usine sans les trouver mais arrêtent six ouvriers réfractaires au STO, ainsi que le directeur, Charles Clavey. Ce dernier, déporté à Gross-Rosen, en Silésie, ne reviendra jamais au pays. Edmond Clavey devra sa survie à son absence lors de la perquisition. recherché par la police allemande, il devra attendre la libération pour rejoindre Foussemagne.
En Novembre 1944, les soldats allemands installent un point de défense dans la tuilerie, face à la progression des troupes françaises. Dès cet instant, Edmond Clavey rejoint les libérateurs pour assister avec tristesse au bombardement de son usine et maison familiale. |